ACTUS

Leçon de douarneniste #7

« Mieux vaut un petit konchennoù qu’un grand chez les autres »
Leçon de douarneniste du jour

Confinement quand tu nous tiens – Par Jean Pencalet

Douarnenez, le 21 avril 2020
Ma chère Etiennette,
Les confinés parlent aux confinés !
C’est bien, hein mignonne, que la poste marche malgré ces temps difficiles.
Vous écrire permet d’évacuer mon stress, c’est ce que me dit ma belle-fille au téléphone…comme si j’avais un genre à sombrer dans la dépression ! Vous me connaissez, je suis toujours à prendre la vie du bon côté. Et Jules, mon mari, il est comme moi, il sait dire : « il vaut mieux voir le verre complètement plein que complètement vide ! »

Je dois pas être la seule à écrire car mon facteur me dit qu’il a plein des lettres à distribuer et surtout beaucoup pour la Police : des lettres de dénonciation, comme pendant la guerre, c’est pas permis, sur des gens qui ont toujours une jambe levée dehors ou des gens qui vont prendre l’apéro les uns chez les autres. Je crois que c’est ce qui est arrivé chez Nana ; ceux-là parce qu’ils habitent Tréboul, ils se croient tout permis. En tous les cas avec le prix de l’amende ça va les calmer, surtout lui le mari bigouden.

Nous aussi, ici, on prend l’apéro de temps en temps, Jules et moi. Je vous avais dit que l’on était fâchés mais les cochons sont rentrés. Il me remasse et bientôt y’aura plus rien. On rejoue au scrabble ; il est venu bon, hein ! Hier il m’a fait L.U.C.I.O.L.E avec C.O.U.I.L.L.E : un sept lettres ; moi j’aurais jamais trouvé ça !

Et le mieux, c’est que Jules est monté dans le grenier , et est de l’heure à écouter Jo Dassin et Dalida jeune, et moi je suis à fondre avec les airs à sammer de la cabane. Vous vous souvenez Etiennette : « vertes campagnes » ou bien « Varoume » ; et c’est avec « Ze moune in ze skaï » que vous aviez logé le vôtre venu en vacances de Saint-Jean de Luz à la rue Sainte-Hélène, chez sa tante, et qui vous êtes mariée de contre lui !

Sinon, je n’ai pas grand-chose à vous raconter ! Y’a pas des connus qui ont ridé leur parapluie ; ceux qui restent font bien puisqu’il n’y a pas d’enterrements avesson. Ça nous manque ; c’est là qu’on voit du monde et qu’on a des nouvelles fraîches. Moi je voudrais pas risser mainant ; je veux des funérailles normales pour savoir qui viendra après moi !

Je sais pas comment vous êtes, mais ce cochon de virus à moi me donne faim et je mange, je mange et, bien sûr, je prends ! Et vous savez comment je suis : tout va dans mes joues ! Jules a dit que quand le confinement serait fini, on fera du sport pour perdre ! On ferait tous les tours de notre jeunesse à pied : les Quatre vents, Ménez-Peulven, les Roches blanches ; moi je pourrai plus avec mes oignons !

Sans compter que déjà pour aller de chez moi au bout du Pont, je perds mon haleine et je suis sur mes crabannous… et c’est plat !
Mais de toutes les façons, c’est pas demain la veille qu’on ira cantenner !
Bouchics Trouz
Marie – Jeanne

Jean PENCALET – 24 avril 2020
Illustration de Charles Kerivel